Souvenirs
Oui,sans doute,tout meurt;ce monde est un grand reve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n'avons pas plutot ce roseau dans la main,
Que le vent nous l'enlève.
Oui,les premiers baisers,oui,les premiers serments
Que deux etres mortels échangèrent sur terre,
Ce fut au pied d'un arbre effeuillé par les vents,
Sur un roc en poussière.
Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
Et des astres sans nomque leur propre lumière
Dévore incessamment.
Tout mourait autour d'eux,l'oiseau dans le feuillage,
La fleur entre leurs mains,l'insecte sous leurs pieds,
La source desséchée ou vacillait l'image
De leurs traits oubliés;
Et sur tous ces débris joignant leurs mains d'argile,
Etourdis des éclairs d'un instant de plaisir,
Ils croyaient échapper à cet etre immobile
Qui regarde mourir!
-Insensés!dit le sage.-Heureux!dit le poète.
Et quels tristes amours as-tu donc dans le coeur,
Si le bruit du torrent te trouble et t'inquiète,
Si le vent te fait peur?
Alfred de Musset[/u]